Les Béninois : princes ou esclaves du vaudou ?
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En toute fiction
Peuple paisible d’Afrique de l’Ouest, les Béninois sont accusés depuis la nuit des temps d’être les plus grands occultistes du monde. La noirceur de leur magie serait en rapport avec la malédiction qu’ils traîneraient jusque dans la formulation de leur gentilé; ils seraient ni plus ni moins « bénis dans le noir ». Ce stéréotype cabalistique semble s’expanser à la même vitesse que le développement des médias sociaux, ce qui n’a cesse de me courroucer. J’ai donc entrepris à travers cette chronique de dénoncer le phénomène en l’analysant en trois étapes. Après la présentation des faits, je vous invite dans cette deuxième partie à expérimenter l’insolite à travers une fiction.
« ACTION, ÇA TOURNE ! »
Il était une fois, un béninois et “deux collègues” africains
Quelque part dans le monde, à une époque plus ou moins récente, trois jeunes chercheurs scientifiques de diverses nationalités se retrouvent finalistes dans le cadre d’une compétition internationale à l’enjeu crucial. Dans une salle de conférence, en attente du démarrage de la réunion, ils se découvrent pour la première fois.
SCIENTIFIQUE 1
Bonjour !
SCIENTIFIQUE 2
Bonjour.
SCIENTIFIQUE 3
Bonjour chers amis. Je suis Joseph Okemba de Matadi.
SCIENTIFIQUE 1
Moi, Pédro Carlos de Bata !
SCIENTIFIQUE 2
Justin Glèlè d’Abomey, enchanté Messieurs.
« C’est un béninois ! »
Le premier homme dévisage ce dernier, puis échange un regard troublé avec le troisième. Celui-ci tente d’avoir la confirmation de leur inquiétude commune.
CHERCHEUR CONGOLAIS
Abomey comme le Danhomey ? Vous êtes donc béninois ?
CHERCHEUR BÉNINOIS
En effet ! Je suis béninois.
Le chercheur équato-guinéen tourne soudainement les pas, attrape sa serviette et quitte la place qui lui a été attribuée pour s’approprier une autre, quelques mètres plus loin.
PROTOCOLE
Euh que se passe t-il, Monsieur ? Auriez-vous rencontré un souci à votre emplacement requis ?
CHERCHEUR ÉQUATO-GUINÉEN
Rien monsieur, je ne supporte pas l’air conditionné, le flux y est trop important.
PROTOCOLE
Navré pour vous.
Le scientifique acquiesce de la tête, puis se met à s’éventer à l’aide de son porte-document, les secondes qui suivent.
À la sortie de la réunion, le scientifique congolais interpelle son concurrent béninois en le rattrapant de petites foulées.
JOSEPH OKEMBA
Monsieur Glèlè ! Une minute s’il vous plaît.
Le scientifique béninois se retourne, quelque peu intrigué.
JOSEPH OKEMBA
Je voudrais vous parler de quelque chose. En fait, j’ai un gros souci et j’espère que vous puissiez m’aider. On dit souvent que Dieu passe par quelqu’un pour secourir. Vous êtes sûrement mon sauveur.
JUSTIN GLÈLÈ ( sourire gêné )
Si vous le pensez, en quoi puis-je vous aider ?
JOSEPH OKEMBA
Vous êtes bien béninois, pas vrai ?
JUSTIN GLÈLÈ
Je pense vous l’avoir confirmé tout à l’heure.
JOSEPH OKEMBA ( les paumes de mains présentées aux cieux)
Merci Zambé (Seigneur en langue lingala) ! Vous allez pourvoir m’aider à » effacer » mon ami Hans. Je suis fou amoureux de sa femme et…
L’éberlument de son confrère pousse le chercheur congolais à se précipiter en justifications.
JOSEPH OKEMBA
Je ne veux pas le tuer, juste le rendre un peu zinzin ! Vous voyez ce que je veux dire ? Par la grâce de Dieu, avec vous, ça va aller.
JUSTIN GLÈLÈ
Par la grâce de Dieu, vous trouverez un meilleur sorcier chez vous, cherchez bien.
JOSEPH OKEMBA
…
JUSTIN GLÈLÈ
Je suis là pour remporter le financement de la Banque Africaine de Développement ( BAD ) sur ce challenge afin d’apporter une solution énergétique verte à mon village. Voyez vous, si j’étais aussi fort, je n’aurais qu’à claquer les doigts et la lumière éblouira ma belle vallée et ses antilopes de manière continue.
Il tourne ensuite les pas, laissant son interlocuteur confus.
Le lendemain
Si tu es vraiment béninois, marche sur la mer !
PEDRO CARLOS
Bonjour Justin, comment allez-vous aujourd’hui ?
JUSTIN GLÈLÈ
Salut cher ami. Heureux de constater que vous n’avez plus peur de moi.
Joseph les rejoint.
PEDRO CARLOS
J’ai appris hier que vous n’êtes même pas capable d’éclairer votre village d’un coup de balai magique. Vous êtes sans aucun doute le plus imposteur des béninois !
JOSEPH OKEMBA
Fais gaffe cher ami, ils sont vraiment forts.
PEDRO CARLOS
Oui , ils sont forts. Mais tu sais ce qu’on dit de la magie noire ? Elle ne sert qu’à détruire. Ils sont bénis dans le noir !
JUSTIN GLÈLÈ
Je devrais ramener votre bouche sur votre nuque pour cet affront !
Les deux nouveaux compères détalent.
JUSTIN GLÈLÈ ( consterné )
Humm comment se défaire de cette malédiction !
QUIDAM
En dotant votre village et des milliers d’autres du monde de cette solution révolutionnaire en matière d’énergie électrique écologique. Votre projet est remarquable, Monsieur Glèlè. Tous le jury est unanime pour vous accorder le financement. Nous l’annoncerons dans quelques minutes.
GLÈLÈ ( époustouflé en se retournant )
J’en suis flatté Monsieur. Merci beaucoup !
PRÉSIDENT DU JURY
C’est un honneur de rencontrer un esprit « lumineux » tel que le vôtre.
Quelques minutes après l’annonce officielle du vainqueur, Justin va féliciter ses concurrents.
PEDRO CARLOS ( dépité )
Je ne comprends pas, j’ai pourtant tout bien fait !
JUSTIN GLÈLÈ
Votre projet était très compétiteur. À vrai dire, c’était celui que je craignais le plus. Mais lors de la démonstration, vous avez omis d’enclencher le bouton delta pour le dernier renvoi, ce qui a compromis le fonctionnement correct du dispositif.
PEDRO CARLOS
Merde ! Je savais, j’étais trop nerveux !
JUSTIN GLÈLÈ
En effet, vous l’étiez. J’essayais de vous le souffler, mais vous étiez trop concentré à éviter soigneusement mon regard. Vous aviez trop peur que je ramène votre bouche sur votre nuque !
( Rires nerveux )
JUSTIN GLÈLÈ
Ce cliché que vous vous êtes forgé à mon égard a détruit votre chance de victoire. Et vous, Joseph, vous n’avez pas su peaufiner la présentation de votre dispositif qui avait toutes les chances de retenir l’attention du jury ; parce que vous étiez plus préoccupé à penser que votre concurrent que je suis a le pouvoir de balayer l’obstacle sur le chemin vers la femme que vous convoitez et refuse de vous aider parce qu’il a le cœur aussi noir que l’âme. Vous vous êtes tous condamnés d’avance.
Confus, les concurrents de Justin inclinent tristement la tête.
JUSTIN GLÈLÈ
Vous êtes venus ici dans un but précis et avez amenuisé vos chances pour le concrétiser parce que vous y avez rencontré un béninois ! Eh bien le béninois vous invite chez lui.
PEDRO CARLOS ET JOSEPH OKEMBA ( en choeur et se dévisageant )
Comment ?
JUSTIN GLÈLÈ
Comme je l’ai dit, vos formules sont remarquables. Une combinaison de nos trois solutions serait optimale pour régler durablement la problématique de la crise énergétique sur notre continent. Autrement dit, avec mon financement, je vous propose de m’aider à rapidement concrétiser l’électricité verte dans les villages de mon pays. Nous irons par la suite, dans les vôtres et ceux autres d’Afrique. Enfin, si vous en reveniez en entier !
( Éclats de rire )
Un peu plus tard, Pedro et Joseph vont retrouver Justin dans sa suite d’hôtel. Celui-ci prépare sa valise.
JOSEPH OKEMBA
Nous acceptons ta proposition, cher ami.
PEDRO CARLOS
Nous avons hâte de découvrir Agb- Agban
JUSTIN GLÈLÈ
Agbangnizoun !
Le gardien de nuit
Un mois plus tard
JUSTIN GLÈLÈ
Chers amis, bienvenue à Agbangnizoun !
PEDRO CARLOS
Le village du plus grand imposteur de tous les béninois !
( HAHAHAHA ! )
Quelques jours après leur arrivée au Bénin, Justin Glèlè emmène ses hôtes à Porto-Novo, la capitale béninoise. Ils y assistent à une parade des Zangbéto lors d’un festival local.
JOSEPH OKEMBA
Qu’y a t-il en bas ? Qu’est-ce qui “le” fait danser comme ça ?
PEDRO CARLOS
Ils nous l’ont pourtant montré avant !
JOSEPH OKEMBA
Impossible de me faire avaler ça. Ce truc qu’on nous as présenté ne peut pas faire danser ce masque géant !
PEDRO CARLOS
Je pense que la vraie question est : quel est ce truc, Justin ?
JUSTIN GLÈLÈ
Vous devriez commencer par éviter de l’appeler « le truc ». Le Zangbéto est sûrement le plus authentique des béninois. Gardien de nos nuits, son seul mystère est de nous protéger tout en nous égayant comme maintenant. Il rassure pour ceux qui lui accordent leur foi tout en distrayant nos âmes de leurs soucis, de stimuler vos esprits en curiosité et découvertes. Je ressens cette fascination pareillement que vous. Et si j’avais envie de retourner ta bouche sur ta nuque, Paul, cela m’étonnerait qu’il soit enclin à me l’accorder.
( SOURIRES)
Quelques heures après la fin du spectacle, Joseph sort de son lit en sueurs. Il soupire longuement et appelle Justin au téléphone.
JOSEPH OKEMBA
J’ai la tête qui tourne, je n’arrive pas à dormir, je crois que je vois des bébés zangbéto danser autour de moi.
JUSTIN GLÈLÈ
Ça c’est plutôt le sodabi (eau-de-vie à base de vin de palme ), cher ami ! Tu aurais dû m’écouter et le consommer avec modération.
JOSEPH OKEMBA
Tu sais ce qu’on dit: « il ne faut rien refuser des génies ! »
JUSTIN GLÈLÈ
Rire !
« C’est l’Afrique qui gagne ! »
Trois mois plus tard, la lumière se fait à Agbangnizoun à partir d’une source d’énergie renouvelable révolutionnaire.
Dans le vol pour aller à Matadi au Congo chez Joseph Okemba, les trois amis font le point de leur aventure.
PEDRO CARLOS
Sacré Justin ! C’est vraiment généreux de ta part de nous avoir invité sur ton projet; grâce auquel nous avons reçu cet accompagnement exceptionnel de la BAD.
JUSTIN GLÈLÈ
C’est l’Afrique qui gagne. Nous sommes ses dignes fils; notre ambition devrait rester telle et non chercher à rendre zinzin son meilleur ami pour lui piquer sa femme !
( RIRES)
JOSEPH OKEMBA
J’ai été vraiment un farfelu. Grâce à ce projet, j’ai pu rencontrer la brillante Faty de Parakou qui est la vraie femme de ma vie. J’approuve donc ta leçon, merci au plus imposteur des béninois !
( RIRES )
PEDRO CARLOS
Faudrait peut-être penser à lui retirer ce surnom ?
JUSTIN GLÈLÈ
Il ne me dérange plus ! À vrai dire, je ne sais si je l’aurais fait avec mes frères béninois s’ils avaient été à votre place. J’aurais été plus préoccupé à leur démontrer que je suis meilleur qu’eux et me serais réjouis de les voir se planter pour me laisser la tête du podium.
Pedro et Joseph dévisagent gravement Justin, le poussant à s’expliquer.
JUSTIN GLÈLÈ
D’après une fine observation, le béninois serait généreux et incroyablement avenant envers l’étranger, mais extrêmement compétitif envers son frère au point d’être tenté de recourir aux coups de vice pour le surclasser, pour les plus extrêmes. Ce serait entre autres, la raison pour laquelle nous traînons cette infamie de « bénis dans le noir. » Nous avons tout pour briller, mais craignons, pour la plupart, de le faire ensemble. La fameuse malédiction nous ferait alors tout perdre !
PEDRO CARLOS
Pour tous à la fois !
JOSEPH OKEMBA
Bah je pense qu’on est un peu comme ça, un peu partout. L’esprit de compétition est inné en tous. Du moins, aux plus brillants ! Nous n’avons nullement besoin de recourir aux forces occultes pour ça !
PEDRO CARLOS
Faudrait nous trouver de vrais clichés, les gars !
JUSTIN GLÈLÈ
Rire ! Eh bien, je vous accorde ce rituel qu’effectue la majorité des béninois : nous confions notre passé et notre avenir à nos ancêtres ainsi que nos journées avant que l’aube ne les caresse. Nous les prions toujours pour tout.
PEDRO CARLOS
Nous le faisons également.
JOSEPH OKEMBA
Nous sommes pareils finalement !
PETRO CARLOS
Tous des imposteurs !
{ RIRES }
JOSEPH OKEMBA
Tenez, et si nous faisions ce qui nous a réunis ? Organisons un concours de vrais clichés de chez nous !
Le commandant souhaite la bienvenue à l’Aéroport international de Kinshasa-Ndjili.
C comme Clichés Coopérer
JUSTIN GLÈLÈ
Il est l’heure de révolutionner le monde, les amis. Les vrais clichés attendront l’apéro de célébration de nos exploits pour le bonheur du monde.
Ils se lèvent tour à tour et foncent à l’appel du devoir.
« COUPEZ ! »
Je vous convie à présent à retrouver la synthèse de mon analyse dans la troisième et dernière partie de cette chronique. En attendant, j’aimerais connaître, si vous le voulez-bien, la vôtre. Que pensez-vous de cette illustration de la problématique ? Pensez-vous que cette fiction transcrit la réalité ou qu’elle est un peu, beaucoup extrapolée ?
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