24 novembre 2022

Extraits de « Rama, cri de corps d’une bébé-épouse »

Habituellement, j’aime écrire sur l’amour. Même si elles traitent de l’humour ou du drame que j’adore aussi, mes histoires sont presque toujours romantiques. Cette fois, il n’y a rien de romantique par ici, pourtant il s’agit de mariage. Un mariage sans amour donc ? C’est bien pire : un mariage d’enfants. Je vous présente Rama, cri de corps d’une bébé-épouse ; mon livre-contribution à la sensibilisation contre le mariage des enfants.

« Ailleurs, le mariage est une bénédiction ; sous d’autres cieux, il représente l’enfer. » C’est par cette complainte que Ramatou nous introduit dans sa géhenne. Je me mets dans sa peau pour vous raconter cette histoire ; je suis bien obligée, elle n’a que douze ans et ne sait ni lire ni écrire.

Valetah

Dédicace

À toutes les filles-épouses du monde,

À votre enfance, votre adolescence volée ;

À votre avenir hypothéqué ;

Du très haut, le ciel pansera vos douleurs et épongera leurs larmes couleur vermeille.

À toutes les mères, les pères qui ont cru n’avoir pas eu d’autres choix ;

À tous les témoins qui ont su, mais n’ont rien pu,

Il n’est jamais trop tard pour agir, se repentir pour les générations futures.

Maintenant, pour les protéger et à jamais pour éradiquer toutes les destinées à la Rama.

Crédit : pixabay

Prologue

Touza, 2h36 du matin

Dans l’obscurité de ce mercredi matin, je peine à trouver le sommeil. Je suis couchée sur ce sol rugueux. Mes larmes inondent encore une fois, ce morceau de chiffon qui me sert d’oreiller, vestige d’un des trois morceaux de pagnes que j’ai ramenés de chez ma mère ; cela a été son unique cadeau pour mon… Départ.
Les moustiques me dévorent et la chaleur de mon cœur qui s’embrase rivalise avec celle de la température ambiante. Qu’importe si je ne trouve le sommeil, dans une heure trente exactement, je dois être debout pour m’atteler aux tâches ménagères. Je devrais pourtant me reposer afin de récupérer de la torture d’hier parce qu’aujourd’hui je ne suis pas de « garde ». Merci, mon Dieu ! La garde au service sexuel de Monsieur le Barbare. Je pose juste ma main sur mon ventre pour calmer ce petit ange innocent qu’on a mis de force dans mes entrailles. Il est là depuis environ six mois et survit comme par miracle à tous ces coups et chevauchements barbares. Notre Créateur est un mystère. Il est bien là, en sécurité ; me voilà rassurée. Nous ne sommes que des bébés tous les deux, alors nous nous serrerons les coudes dans cette apocalypse qu’est notre nouvelle vie. 

Mamie à la lame rouillée

(…) Mon terrifiant cauchemar « Mamie à la lame sacrée rouillée » a eu son digne remplaçant dans les abysses de mes archives-douleurs . Mon excision cruelle quatre ans plus tôt est une caresse comparée à l’horreur que je venais de vivre. Mamie, reviens avec ta lame sacrée et libère-moi de lui ! Je te suivrai partout ou tu voudras et offrirai toute ma chair en lambeaux à ta foutue scie rouillée. Je préfère mille fois passer sous ta tranche que retourner sous lui ; ai-je imploré en vain…  

Crédit : Pixabay

Notre péché ? Naître de sexe féminin dans cette partie du monde

(…) Mes cris de détresse n’ont eu l’air d’émouvoir que les grillons et les chiens errants qui sifflaient et aboyaient dans la noirceur de cette horrible nuit. Et pourtant, il y a des êtres humains dans cette concession. Il y a des femmes dont une au moins a l’âge de ma mère. Pourquoi des mères laissent-elles ce monstre violer le bébé que je suis ? Pourquoi le laissent-elles faire du mal à une enfant ? m’en suis-je longuement tourmentée. Je n’ai pas mis longtemps à découvrir que ces trois dames que j’ai jugées sont mes co-épouses. Elles sont les trois premières victimes de ce pédophile et sont toutes passées par tout ce que je vis en ce moment. Sa dernière “acquisition” avant moi est âgée de dix-sept ans et est presque à terme de sa deuxième grossesse d’où l’urgence de la remplacer par plus précoce. Leurs propres filles subissent le même martyre dans d’autres enfers avoisinants au même moment ; pourquoi compatiraient-elles pour moi ? Tel est notre destin à nous, les filles de cette contrée. Notre péché ? Être né de sexe féminin à cet endroit du monde. Notre sort est scellé d’avance dès notre premier cri natal.

(…)

Crédit : Pixabay

Je suis à bout, je me sens partir

(…) Deux claques chaudes sur mes joues me réveillent. Je me bats contre mes paupières engourdies. Elles me giflent encore et encore m’intimant de les maintenir ouvertes. Elles m’ont transportée à l’intérieur de la chambrette la plus proche. Alors que l’une maintient mes jambes écartées, une autre s’affaire entre mes cuisses et m’ordonne de pousser. La troisième, installée derrière moi, m’a calée contre elle et m’administre les gifles pour ne pas que je m’évanouisse de nouveau. 

« ALLEZ POUSSE ! POUSSE ALLEZ ! » me hurlent-elles en me donnant des claques sur la cuisse. Entre cette douleur lacérante dans mes entrailles ; les gifles, les violentes claques sur mes cuisses et leurs grondements, je comprends à peine ce qu’il se passe réellement, je suis perdue. Je pousse, pousse ; je fais des efforts surhumains et pourtant je reçois toujours des claques. Je n’en peux plus, je suis à bout, je me sens à nouveau partir.

(…)

Il est sorti de moi

(…) À peine tenté-je de descendre de ce lit métallique que je ressens une vive brûlure irradiante de mon entrejambe jusqu’à mes fesses. Que m’est-il arrivé ?  Oh mon Dieu ! Et où est mon bébé ? Oui, mon bébé ! Ce vagissement que j’ai entendu ne fait pas partie du cauchemar, il est bien réel. Il est sorti de moi, je le jure par Allah !

Moi Rama, Bébé-épouse; bébé-mère

(…) Comment décrire cette sensation ? Un flot d’émotions inonde mon cœur et mes yeux s’emplissent à nouveau de larmes. Je penche doucement ma tête au dessus d’elle pour l’admirer de plus près. Mon cœur s’emballe et je demande intérieurement à ce miracle sous mes yeux : « C’est donc toi ? Cet être extraordinaire qui a fait de ce bébé, une mère ? Suis-je seulement digne de mériter que tu m’appelles ainsi un jour ? Moi, cette enfant qui cherche tous les jours, elle-même sa propre mère, la nuit, au milieu de ses cauchemars ? Moi, qui suis interdite de rêver du bonheur ; incapable de prendre soin de moi-même. Comment puis-je prétendre pouvoir prendre soin de toi, moi qui n’ai plus que la haine et la douleur dans le cœur ?
Comment pourrais-je t’aimer et te chérir indéfiniment, toi qui n’a besoin que d’amour et de câlins ? »

(…)

Crédit : Pixabay

Mon cerveau s’éteint

(…)

— Il faut que je t’explique tout ce qu’il t’est arrivé pour que tu puisses bien prendre soin de toi et guérir convenablement. 

Enfin de la lumière pour mon esprit embué. Je perçois pourtant gravement cette annonce en dépit de toute la sollicitude dont elle l’entoure. Je hoche la tête pour lui promettre toute mon attention.

— … Lorsqu’on t’a amenée ici, tu saignais abondamment et ta tension avait considérablement chuté, ton pouls, presque inexistant. Idem pour celui de ton bébé. Elle avait beaucoup souffert comme toi lors de l’accouchement. On vous a ranimées toutes les deux. Allahmdoullilah, vous avez toutes les deux survécu. Mais pour te sauver la vie, on a dû… On a dû… 

Elle regarde tantie Céline qui l’encourage à continuer d’un timide acquiescement.                          

— … On a dû t’enlever l’utérus. 

De quoi parle t-elle ? Je n’y comprends rien. Je regarde Tantie Céline qui se contente de remuer tristement la tête de gauche à droite puis la soutenir de son poing gauche.

— … Cela veut dire que tu ne pourras plus porter ni donner la vie. Tu n’accoucheras plus d’autres enfants, Rama. 

Mon cerveau s’éteint. Tantie Céline me saisit les mains.

(…)

Crédit : Pixabay

Stop au mariage des enfants !

Un enfant ne se marie pas ; un enfant ne fabrique pas un autre enfant ; un enfant s’instruit pour illuminer son avenir et celui de sa société.

Crédit : Depositphotos

Extraits de Rama, cri de corps d’une bébé-épouse de Valetah

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