Aïcha Macky Kidy, l’Amazone du Niger

Article : Aïcha Macky Kidy, l’Amazone du Niger
Crédit: Aïcha Macky Kidy
28 février 2023

Aïcha Macky Kidy, l’Amazone du Niger

Au Niger, il n’y a pas que du bon Kilichi, il y a aussi Aïcha Macky Kidy.

J’ai souri de fierté à son rayonnement au Fespaco 2021. Je l’ai rencontrée une matinée parfumée aux effluves de café et jus de fruits de saison dans un monde grave. Nous étions quatre personnes : trois femmes et un jeune homme. Nous devrions discuter des violences basées sur le genre ; en particulier, celles subies par les filles et femmes nigériennes.

Sa biographie la décrit comme l’une des plus talentueuses réalisatrices africaines. J’ai découvert une femme encore plus brillante à la spontanéité généreuse. Je vous présente Aïcha Macky Kidy, l’Amazone du Niger. Une Amazone de plus au Sahel ; une de plus en Afrique ; une de plus dans le monde.

Crédit : Aïcha Macky Kidy

Aïcha Macky Kidy, l’enfant du pays

Native de Zinder, la deuxième plus grande ville du Niger, Aïcha n’a jamais su ni pensé échapper à ses responsabilités vis-à-vis de son pays, de sa ville, de sa terre. Elle les assume tant par le cœur que par la bravoure, défiant insécurité et clichés dans un pays fortement patriarcal où la voix et les actes de la femme doivent rester dans une gamme « convenable ». Plus qu’une patriote, elle semble condamnée à porter son pays malgré lui, vers son plus beau rayonnement. À jamais fière de son Niger, il peut se sentir chanceux de l’avoir ; enfant bénie, père comblé.

Crédit : Depositphotos

Une femme concernée par les maux de sa société

J’ai visionné deux productions cinématographiques de Aïcha Macky et les deux m’ont bouleversée. Alors que « The fruitless tree » relate la sentence des femmes jugées coupables de l’absence de descendance dans certains foyers africains, « Zinder » transcrit quant à elle, la réalité de la décadence d’une jeunesse frustrée et colérique, résignée aux règles de la jungle. Les deux films ont glané les récompenses les plus prestigieuses aux quatre coins du monde dont l’honorable « Prix de la meilleure réalisatrice de l’espace CÉDEAO » au FESPACO 2021 pour Zinder.

S’appuyer sur ses compétences en sociologie pour dénoncer et soigner les maux de sa société à travers sa passion, le cinéma. Telle semble la recette de Aïcha Macky pour impacter et elle fonctionne. De contact facile, elle est à la fois accessible et rigoureuse ; incroyablement généreuse, mais farouche quant à la défense de ses convictions. Je n’ai pas choisi de lui affubler l’épithète « Amazone » pour faire joli.

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« Avec le recul, je me suis rendue compte à quel point j’ai pris des risques. Sinon je ne ressentais pas la peur au cœur de l’action », nous a t-elle confié à propos de la réalisation de Zinder. Je parie pourtant que dès demain, elle reprendra sa caméra pour une aventure toute aussi périlleuse, avec à la clé, l’intime conviction de contribuer à changer les choses. Qu’Allah nous la préserve !

Crédit : Aïcha Macky Kidy

Un engagement reconnu au-delà de ses frontières

Aïcha Macky a toujours sillonné son pays le Niger de long en large pour projeter gratuitement ses réalisations afin de sensibiliser son peuple sur les maux qui le minent et l’urgence d’en sortir. Sa caravane pour la paix baptisée CINÉ-NOMADE lancée le 6 septembre 2022 en est une parfaite illustration. L’agence Française de Développement (AFD), entre autres, lui a à juste titre décerné en Octobre 2021, le Prix de la « femme ambassadrice de la paix ».

Mais elle ne se contente pas de sensibiliser. Aïcha Macky instruit en formant ses consœurs et confrères au métier de la réalisation en partenariat avec l’ambassade américaine au Niger à travers le programme American Film Showcase (AFS).

« L’arbre sans fruit » ou l’offrande d’Aïcha Macky Kidy

Souffrir une « damnation » et offrir chaque jour son sourire au monde tout en encourageant ses consœurs à ne jamais abandonner est une prouesse. Se livrer entièrement au monde afin de mieux l’expliquer est un sacrifice, un don de soi inestimable. Aïcha l’a fait à travers The fruitless tree. Cette fabuleuse résiliente a tenu à contaminer le monde de son courage en se révélant dans l’entièreté de sa douleur, de ses soupirs. J’en resterai éternellement admirative. La tragédie de sa pauvre maman, puisse t-elle reposer en paix, et son invocation à chaque étape de sa confession ont achevé de m’anéantir.

Crédit : Aïcha Macky Kidy

Par ailleurs, deux réalités m’ont marquée dans L’arbre sans fruit : la trahison de certains époux et le soutien indéfectible d’autres pour celles à qui ils ont juré leur amour pour le meilleur et pour le pire. Ces deux attitudes sont déterminantes dans la résolution de la problématique en ce sens que la femme perd tout repère et tout espoir lorsqu’elle est lâchée par son partenaire qui s’associe à la société pour l’accabler toute seule de ce « malheur ». Lorsqu’il la soutient, ce qui semblait être une fatalité se trouve miraculeusement résorbé. Il existe de nos jours tant d’alternatives pour avoir une descendance biologique ou non. Mais surtout, cela permet de lever le tabou et la fatalité se révèle être une chimère portée parfois par le partenaire jadis insoupçonné et insoupçonnable.

Zinder ou les frustrations d’une jeunesse oubliée du bonheur

Zinder, c’est l’imposition d’une réalité africaine, européenne, américaine, orientale que personne ne veut voir. Lorsqu’on dénie un fléau, on s’en sent moins concerné, moins coupable. Aïcha Macky ne nous laisse pas le choix quant à celle de certains jeunes nigériens avec son documentaire remuant.

Zinder, ce sont les frustrations d’une jeunesse oubliée dans la distribution du bonheur. Elle se meut tout simplement en vilaine. Sous des carrures de terreur, des hommes en proie à la douleur de l’incertitude du lendemain pour eux et pour leurs progénitures. Des « méchants » qui, par chance ici, songent au repentir. Leur unique condition : cesser d’être estampillés « les cas désespérés », « les lépreux ». J’ai été absolument émue qu’une jeune femme, une brave nigérienne se fasse leur porte-parole. En lui accordant ce privilège et en se l’accordant par ricochet, ils prennent le risque d’être jugés et condamnés pour leurs actes dits de désespoir. Le fait qu’ils le prennent fait résonner leur cri de détresse. J’espère qu’il sera entendu.

Hormis la réalisatrice, mon coup de cœur dans ce téléfilm se porte sur Ramsès, la contrebandière androgyne. Elle incarne à elle seule plusieurs combats dans un monde foncièrement hostile. Mon cri de douleur va quant à lui, aux jeunes filles victimes d’exploitation sexuelle dans le sinistre quartier « Tudun James ». À la fin de ce marathon insoutenable, j’ai soupiré : Zinder ou Comment est-ce possible d’être autant maudits ?

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Aïcha Macky Kidy, fierté nationale, fierté mondiale, icône féminine

Ce billet est l’un que j’ai mis le plus de temps à construire. Je devrais le publier depuis des mois, en novembre précisément dans le cadre des #16Days2022 ; mais il ne m’a jamais semblé exhaustif tellement le personnage m’est fascinant. Je me résigne ainsi à résumer ses magnifiques contours en ces quelques paragraphes. Si je devrais faire plus court et la décrire en trois mots uniquement, je dirais : intrépide et authentique.

Je viens de découvrir qu’elle siège parmi le jury du prochain Fespaco qui démarre le 25 février 2023 à Ouagadougou, quel parcours vertigineux, quelle fierté !

Crédit : Depositphotos
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Commentaires

Safia
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Ma cha Allah, tu es là fierté du Niger Aicha

Valetah
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Merci à vous !

Adelaïde Fouejeu Fouebou
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Jolie portrait, nous sommes aussi fières d'elle.